CONTRIBUTION: Le Califat de Serigne Ababacar SY : 25 mars 1957 – 25 mars 2014




Serigne Ababacar SY est l’une des figures emblématiques qui ont écrit les belles pages de l’histoire de la tidianiya. Dans un contexte de crise des valeurs, où les repères se perdent, les références s’effilochent, il urge de revisiter la personnalité mystique de ce grand homme qui reste un viatique pour la jeunesse. En ce vendredi marquant l’anniversaire du décès du saint homme, nous voulons soulever la problématique du califat et particulièrement celui de Serigne Babacar dont l’intronisation à la tête de la tidianiyya n’a apparemment pas été simple.



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Le mot khalifat est mentionné deux fois dans le Coran ; l’un se referant à Adam

;…و إذ قال ربك للملائكة إني جاعل في الأرض خليفة قالو أتجعل فيها من يفسد فيها

Lorsque ton seigneur confia aux anges : « je vais établir sur la terre un vicaire « khalifa » ils dirent « vas-tu y désigner un qui y mettra le désordre… » et l’autre à David, dans un contexte suggérant fortement l’idée de souveraineté « Nous avons fait de toi un lieutenant ( khalifa) sur la terre, juge les hommes selon la justice » ( XXXVII- 26)

يا داوود إنا جعلناك خليفة في ا لأرض فاحكم بين الناس بالحق.

Le califat historique commence à la mort du Prophète, lorsque Abu Bakr lui succède à la tête de la communauté musulmane. L’événement a ouvert des scissions notoires dans les rangs des fidèles. Le fait que l’apôtre n’ait désigné explicitement personne pour le succéder précipite ses adeptes dans une guerre de succession. Ibn Athir précise qu’Abu Bakr présida la prière trois jours durant , avant la mort du prophète ; ce qui lui conférait l’autorité par délégation aux yeux des sunnites. Certains, trouvant cet argument non plausible proposèrent la « shura », d’autres faisant preuve de démocratie voudraient qu’on choisisse un calif parmi les " muhajjirin" ou les mecquois et un calif parmi les " ansar" ou médinois. L’on se demandait alors s’il fallait trouver un chef pour la communauté musulmane ou un Maire pour la ville de Médine.

Cependant, la situation fut apaisée par le serment d’allégeance du vaillant Oumar Ben Khatab à l’endroit d’Abou Bakr. Ce dernier ira même jusqu'à menacer quiconque refusera de se plier à sa décision.

Ainsi donc un prétendant ne pouvait accéder au califat sans susciter des protestations; c’est ce qui explique le climat de tension qui prévalait lors de l’intronisation de Serigne Ababacar Sy.

Contrairement à la tradition mouhammédienne, El hadj Malick Sy avait prié pour que l’exercice du califat soit assuré à jamais par ses descendants. Jusque là, la succession de père en fils était inconnue des annales de la tariqa. Aussi le cas de Tivaouane constitue-t-il une première dans l’héritage de Cheikh Ahmed Tijani, quand on sait que ni El Hadji Omar, ni Alpha Mayoro, ni Mouhammad Ghali, encore moins le Cheikh lui-même n’ont eu pour héritier leur propre fils mais leurs fidèles disciples.

Pour le cas de Maodo, son principe relevait d’une volonté de garder la cohésion sociale après sa mort. Serigne Abdoul Aziz Sy (junior) explique que s’aurait été la désignation d’Ababacar Sy à la tête de la confrérie, chacun des muqaddams exercerait isolément son propre califat. L’ont sait qu’ El hadj Malick SY a formé des disciples élevés au rang de muqqaddam qui sont tous dignes de le succéder car remplissant tous les critères sur tous les plans, mais le patriarche disait à qui veut l’entendre : « il ne m’appartient pas de choisir … c’est un problème qui dépasserait largement mes prérogatives ». Effectivement d’autres que lui m’ont choisi, confirme Seydi Ababacar SY, c’est une question de consensus où les esprits rachitiques n’ont pas de place. Et le calif ira plus loin en laissant entendre : « méme si j’étais un descendant de Kàgne ( un coupeur de route, habitant dans la forêt située entre Pout et la ville de Thies, d’où le nom "alou kagne", je serai calif de Maodo et de Cheikh, le fondateur de la voie.

Donnant son point de vue sur la question, Serigne Cheikh Tidiane SY soutient que c’est Dieu qui a créé les hommes mais c’est le colonisateur qui a créé les personnages. Et le marabout de poursuivre : « le mot calif général n’étant qu’une expression coloniale m’a toujours rebuté…un peu comme le mot « marabout » d’ailleurs, mot que j’ai toujours considéré comme une appellation berbère sinon barbare ».

Principalement, le conseil des muqqadam avait dégagé certains critères qu’il faut incarner pour postuler au califat : être d’une piété exemplaire, être bien pénétré des connaissances religieuses et des secrets de la confrérie mais surtout un homme vertueux. A la lumière des témoignages sur l’homme, Serigne Babacar était vraiment l’homme de la situation.

Sur le plan moral, Hadj Seydou Nourou TALL disait à Serigne Mounirou SARR : « le mérite de votre oncle Seydi Ababacar SY, c’est de ne jamais chercher à plaire, évitant ainsi de jouer avec la foi de ses disciples. Il s’est toujours montré respectueux du fond mais aussi des apparences de chacun ». En cela, Serigne Cheikh Tidiane SY revient sur les qualités morales et intellectuelles du calif dans un poème panégyrique dédié à son père :

و لقد ألفت أب الحبيب و علمه يكفي المريد إذا أتاه نزيلا

و ألفته والصالحات غناؤه و رأيته يشفي بذالك عليلا

Cependant, ces supputations qui ont accompagné l’intronisation du calif se sont vite apaisées, car le saint homme, dés son accession au califat va consolider les enseignements de son père El hadj Malick SY en veillant sur ces quatre éléments que sont la charia, les dahira et la ville de tivaouane et le travail. Et si EL hadj Malick SY a beaucoup œuvré pour la multiplication des zawiyya, l’époque de Seigne Babacar SY sera marquée par la prolifération des dahiras qui auront un impact sur la vie sociale, économique et politique des fidèles.

A la lumière de ce qui précède, l’on peut dire que Serigne Babacar SY, pour la succession du patriarche El’hadj Malick SYrépondait au principe “ l’homme qu’il faut à la place qu’il faut”. Son jeune âge n’était pas un alibi convaincant dont pouvaient se servir ses détracteurs pour le disqualifier, car aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années.

De manière générale le califat est une mission divine dont le seigneur investit ses élus. Malheureusement, le colonisateur en a fait un bluff idéologique pour hiérarchiser les familles religieuses, et on ne choisit pas un calif comme on choisit un cheval de course.


Makhary MBAYE
Chargé de la Communication du Dahiratoul
Moustarchidina Wal Moustarchidaty DMWM

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Lundi 24 Mars 2014