Les Chroniques du Doyen - Mbaye Dondé Mbaye, où la voix de stentor (par Majib Sène)






Dans mon enfance à Ndande département de Kébémer, j’avais été impressionné par le grand spécialiste des chants religieux qui s’appelait Mbaye Dondé Mbaye. Il venait souvent au village où les populations de grand Ndande l’invitaient à l’occasion des Gamous. À l’époque, le village n’était pas encore électrifié et pour la circonstance, on faisait recours aux lampes pétromax qui fonctionnaient avec de grosses ampoules à l’intérieur desquelles pendait une mèche imbibée de pétrole. Avec trois ou quatre appareils qui fonctionnaient simultanément, on avait une bonne lumière qui se mêlait au clair de lune plus ardente autrefois que maintenant. Pas de tente, ni de chaises mais des nattes moelleuses étendues sur la terre sableuse du village. C’est dans ce sobre décor que Mbaye Dondé, avec sa troupe, venus de Tivaouane, égayaient la foule enthousiaste, attentionnée et conquise par la puissante voix de stentor d’un Mbaye Dondé dans un époustouflant « Mbaye ya niou dooy », poème en wolof composé en l’honneur de Khalifa Ababacar Sy RTA. La foule, dans un déchaînement spectaculaire, entonnait les refrains de toutes les chansons du prodige de Tivaouane. Il avait un répertoire inépuisable qui prenait sa source dans les écrits de Cheikh Seydi Hadj Malick Sy, de Khalifa Ababacar Sy et de tous les moukhadams formés à la prestigieuse école de Tivaouane. Je tombais d’admiration devant la prodigieuse mémoire de ce grand chanteur qui, à lui seul, pouvait tenir en haleine tout un auditoire. Il se tenait toujours debout avec des gesticulations qui servaient de support à sa voix douce et violente comme la vie. Sa façon de chanter était unique même si, à l’époque, un certain « Mawdo niama » semblait émerger du lot des chanteurs de renom.

Chaque fois que j’entends son fils Doudou Keinde Mbaye élever la voix, le souvenir de son père me revient avec une nostalgie prenante. La génération qui a pris le relais ne fait point nature morte. Il suffit d'écouter Abdoul Aziz Mbaye, Daou Gor, Mansour et même leurs enfants pour s’en rendre compte. Ce sont ces chanteurs qui ont fait connaître les écrits de tous les érudits de Tivaouane en commençant par ceux de Cheikh Seydi Hadj Malick Sy, l’un des chantres du Prophète Mouhammad PSL les plus prolixes du continent africain.

Mbaye Dondé était le chanteur attitré de Serigne Babacar Sy, son guide et son maître à penser. Quand il chantait, sa voix de stentor s’élevait comme un vol d’oiseaux vers le ciel et ne revenait sur terre qu’après avoir séduit les occupants des espaces célestes. Il n’était pas seulement un interprète doué mais, également, un poète inspiré dont les compositions en langue wolof étaient remplies de mysticisme. Il avait su composer et interpréter un chant se rapportant au voyage nocturne du Prophète Mouhammad PSL. Cette chanson restera l’une de ses plus belles compositions sinon la plus belle tant elle est revigorante, pleine d’émotion et de tendresse. Dans un pays où le taux d’analphabétisme en langue arabe est trop élevé, Mbaye Dondé avait su trouver la meilleure parade grâce à son intelligence, pour nous faire comprendre le langage des maîtres de l’islam des lettrés.

Quand Mbaye Dondé chantait, c’était tout son être qui vibrait à l’unisson. Ses nerfs se gonflaient et son teint devenait plus noir à cause des paroles qui sortaient de sa bouche avec une fréquence et un rythme métronomiques. La sueur qui dégoulinait de son front, rendait son visage étincelant, telle une peau couverte de poudre dorée. Son intelligence, sa vaste culture islamique, sa finesse d’esprit et sa mémoire phénoménale en plus de sa voix conquérante, attestaient qu’on pouvait l’imiter, mais jamais l’égaler. Il fait partie intégrante de ceux qui font la fierté de l’école de Tivaouane allumée par l’incomparable Mawdo Malick Sy, serviteur sans commune mesure, de l’islam et de la confrérie fondée par Aboul Abass Ahmada Tijane RTA.

Me rendant un jour aux cimetières de Tivaouane, j’ai effectué un long arrêt devant le mausolée de Mbaye Dondé, priant pour le repos de son âme. Nous lui devons ces prières car, il fait partie de ceux qui nous ont fait aimer les chants Tidiane. Je me devais de lui consacrer cette chronique en hommage à son vécu religieux et à sa voix pleine de grâce et de sainteté.

Majib Sène

Asfiyahi.Org
Mardi 22 Février 2022