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3/5 - La Tidjaniya dans les relations entre le Sénégal et le Maroc indépendants ; Les cheikhs de la diplomatie et les oulémas « bilatéraux - Par Bakary Samb






L’implantation de la Tidjaniya en Afrique subsaharienne a été largement étudiée par Jean-Louis Triaud et David Robinson [7] J.-L. Triaud et D. Robinson (dir.), La Tidjaniya une...[7]. Cette confrérie présente un intérêt particulier en raison des itinéraires qu’elle emprunte, de ses acteurs depuis le xix e siècle, mais aussi de la connexion importante qu’elle a opérée entre les peuples des deux rives du Sahara [8] B. Sambe, L’Islam dans les relations arabo-africaines :...[8].

La dimension sociopolitique de la Tidjaniya, les liens tissés à travers elle ou à travers son instrumentalisation, donnent aux rapports sénégalo-marocains leur spécificité et leur caractère durable. On ne peut parler de relations avec le Maroc sans faire référence à cette confrérie et au Sénégal, elle est vue comme la base, sinon comme le soutien religieux, des rapports bilatéraux. L’analyse des seuls mécanismes institutionnels ne permet pas de saisir le caractère inhabituel de ces interactions (les relations très personnelles entre les acteurs politiques sont doublées d’autres raccourcis) et un « réseau tidjani » se trouverait ainsi au cœur des relations entre les deux pays, par le jeu de perceptions et d’amalgames politiquement rentables. On peut donc parler d’une sorte de diplomatie parallèle.


Plus complexe et non moins intéressante est la manière dont ces deux formes d’action – celle du pouvoir politique institutionnel, celle des acteurs religieux – se complètent, ou s’utilisent mutuellement, selon les enjeux. D’une part, l’État et ses agents s’appuient sur les structures religieuses pour enraciner la relation bilatérale dans un terreau sacré, et donc légitimant. D’autre part, le religieux unificateur a besoin de l’étroite coopération avec les acteurs institutionnels, ou officiels, pour mieux jouer son rôle et franchir les frontières des États-nations : c’est par leur interaction avec les acteurs politiques, à l’aide de procédés informels, que les acteurs religieux s’institutionnalisent. Ces confréries sont-elles poussées au cœur de structures étatiques sophistiquées par la seule nécessité de subsister, par la volonté de mieux les servir ou d’en user plus efficacement ? Pour les acteurs tidjanis, s’ils s’adaptent et se maintiennent sur l’échiquier politique, c’est grâce à la place qu’ils occupent – ne serait-ce que dans les perceptions ou l’imaginaire – dans les relations sénégalo-marocaines.


Les cheikhs de la diplomatie et les oulémas « bilatéraux »


Les cheikhs de la Tidjaniya ont leurs propres entrées au Palais royal de Rabat ; et leurs frais médicaux et de pèlerinage à La Mecque ou à Fès sont souvent pris en charge par l’État marocain, grâce au puissant ministère des Affaires religieuses. Ces relations personnelles se développent indépendamment des rapports bilatéraux entre autorités politiques. L’Agence marocaine de coopération internationale gère, quant à elle, les bourses octroyées aux étudiants subsahariens qui viennent dans les universités marocaines et les instituts islamiques.


Dans la logique de complémentarité entre diplomatie institutionnelle et relais religieux, existe une organisation religieuse « officielle » parrainée par les deux États, mais surtout financée par le Maroc : la Ligue des oulémas du Maroc et du Sénégal, créée en 1985 sous le patronage de Hassan II et du président Abdou Diouf, lors d’une réunion au siège du Parlement marocain regroupant ambassadeurs du monde musulman et autorités politiques et religieuses. Avec le sceau officiel dont elle bénéficie, cette organisation constitue l’aile religieuse de la coopération sénégalo-marocaine. Cet état de fait revêt un double sens : d’une part, l’appropriation par les acteurs politiques d’une organisation religieuse au service de la coopération, de l’autre, la légitimation des acteurs religieux désormais « officialisés ».

La Ligue des oulémas du Maroc et du Sénégal constitue le prototype même d’une appropriation religieuse de la part des acteurs diplomatiques. Le but déclaré de cette organisation, où prédominent des acteurs appartenant à la confrérie Tidjaniya, est de « renforcer les relations fraternelles entre les deux pays ». Mais elle est aussi l’outil performant sur lequel s’appuie Rabat pour mener une politique d’influence religieuse au sud du Sahara. Elle témoigne d’une revitalisation des liens historiques entre les deux rives du grand désert par le biais du religieux, comme à l’époque où, pour nombre de perceptions, la frontière sud du « Grand Maroc » était la rive droite du fleuve Sénégal et où les prières du Vendredi et de l’Aïd étaient dites au nom du Commandeur des croyants, titre encore porté par les rois du Maroc.


La Ligue regroupant des oulémas marocains et sénégalais a d’autres objectifs, au nombre desquels la perpétuation d’un modèle religieux marocain au sud du Sahara, à travers l’appartenance commune au rite malikite [9] Une des quatre écoles juridiques de l’islam répandue...[9]. La défense du malikisme est en effet au centre des préoccupations « religieuses » de Rabat, qui entend en faire le socle de sa politique de coopération culturelle avec l’Afrique subsaharienne à majorité musulmane. Devant l’ampleur prise par les mouvements islamistes sous influence des thèses wahhabites, le Maroc s’efforce de promouvoir le rite malikite en Afrique noire, et ce, en forte concurrence avec la Libye – qui veut faire émerger et renforcer en Afrique un pôle soufi sous son contrôle – et avec l’Arabie Saoudite – qui promeut elle son wahhabisme sur fond d’aide financière. Ces deux pays sont dotés de moyens financiers beaucoup plus importants que ceux de Rabat qui, en conséquence, travaille davantage la symbolique de son action. Le Maroc, du fait de sa constante implication au sud du Sahara, s’appuie ainsi sur un capital historico-symbolique qui le favorise par rapport aux autres pays arabes.


Les fréquentes activités et événements confrériques sont, aussi, mis à profit par Rabat pour consolider son modèle religieux. Le Maroc en attend quelques retombées diplomatiques, notamment quant à la sensibilisation des opinions africaines sur la question du Sahara occidental. C’est tout le sens de son implication en Afrique, en dépit de son absence des instances de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), puis de l’Union africaine depuis 1984, due à la reconnaissance puis de l’admission de la République arabe sahraouie et démocratique (RASD). On peut même relever que, paradoxalement, Rabat n’a jamais été aussi présent sur le terrain diplomatique africain que depuis son départ de l’ex-OUA...

A suivre...

Dr Bakary Samb enseignant-chercheur au centre d'Etudes et Religion à l'Ufr Crac /Ugb
Mardi 6 Mai 2014






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