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« Panama papers » : réflexion sur civisme fiscal et citoyenneté






L’impressionnante fuite des « Panama papers » nous offre une belle occasion de procéder à une réflexion et d’inviter à une mobilisation citoyenne pour le civisme fiscal dans nos pays. Ce n’est point un secret que nos États, à peine quinquagénaires, ont un grand besoin de ressources dont on espère qu’une importante part viendrait des sacrifices de leurs enfants, de tous leurs enfants. Ceci est d’autant plus vrai que vers les horizons 2035, le Sénégal a pris un exaltant rendez-vous avec le futur, pour l’émergence. Ce qui requiert, hic et nunc, un sens aigu du devoir citoyen, un respect scrupuleux des règles fiscales. Nous croyons que c’est ce qui donne sens à notre statut de citoyens tout en justifiant notre exigence de bonne gouvernance.

Le civisme fiscal et la bonne gouvernance peuvent être perçus comme étant les deux plateaux d'une même balance pour mesurer l’état de la démocratie et de la citoyenneté. La bonne gouvernance c'est la conformité des actions des gouvernants aux lois et règlements, le respect de l'équité et de l'éthique dans la conduite des affaires au bénéfice des populations. C’est aussi la gestion vertueuse des deniers publics, fruits des ressources générées par les citoyens, entre autres. Or, si l’État est le siège de la bonne gouvernance, le citoyen en est l'observateur, le régulateur, j’allais dire le vigile aussi, puisqu’en fin de compte, il est le maître de la commande publique.

Il est dès lors légitime que ce citoyen, demandeur et bénéficiaire des politiques publiques, qui rêve d’émergence aux horizons définis, puisse être regardant sur les moyens qu’il met à la disposition de l’État, dans le but de satisfaire les besoins de la société. On peut les citer schématiquement :

- Sécurité alimentaire,
- protection sociale qui aujourd’hui ne couvre que 20% de la population,
- habitat et cadre de vie dignes,
- accès à l’électricité et à l’eau potable,
- éducation et santé pour tous,
- environnement sain et sûr.

Or, les politiques publiques élaborées et mises en oeuvre dans ces secteurs ne peuvent se réaliser sans la contribution du citoyen au budget de l'État. Ce qui pose donc la dialectique entre civisme fiscal, exigence de bonne gouvernance et politiques publiques judicieuses.

Le civisme fiscal : un acte citoyen

Il est du plus grand intérêt pour le citoyen, de comprendre les principes, les règles et pratiques qui encadrent l’impôt afin que son adhésion au contrat fiscal soit plus franche et plus enthousiaste. Ce qui, par ailleurs, donnerait plus de poids à sa vigilance et à son exigence vis-à-vis de l’État. Deux principes animent les contributions obligatoires du citoyen aux ressources publiques : justice fiscale et égalité de sacrifices à consentir par les citoyens sur leurs revenus.
La justice fiscale est un élément de droits humains très tôt consacré par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, à l’article 13 :

« Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est dispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés. »

Ceci inscrit l’égalité des citoyens comme postulat fondamental, en ce qui concerne l’impôt. Ainsi, on élève en règle d’or la non discrimination d’une part, et d’autre part, la proportionnalité de la contribution en rapport avec les revenus de chaque citoyen. Certains parleront d’égalité de « sacrifices financiers » consentis. Cette égalité peut-elle être réelle, est-elle respectée sans civisme ? Peut-on exiger de l’État plus et mieux sans civisme ? Ce sont là des questions auxquelles nul citoyen ne doit rester indifférent.

Pour contribuer à y répondre, nous pouvons emprunter à Montesquieu ses propres termes, parlant de l’éducation dans le gouvernement républicain, dans son inaltérable livre « l’esprit des lois ». Il y montrait que dans les démocraties, l’attachement au gouvernement n’était point tributaire de la crainte ni de la passion mais de « la vertu politique » qui est :
« Un renoncement de soi-même, […] l'amour des lois et de la patrie […] demandant une préférence continuelle de l’intérêt public au sien propre. […] Cet amour est singulièrement affecté aux démocraties. Dans elles seules le gouvernement est confié à chaque citoyen. »

Ces mots cadrent bien avec le civisme pour lequel nous plaidons, et qui justifie le renoncement du citoyen, de bon cœur, à une partie de ses ressources au bénéfice de la patrie, par respect des lois, pour l’intérêt public et non pour son égoïste personne. En effet, pour le citoyen, les gouvernants sont des mandataires à qui il confie ses espérances et de qui il escompte leur satisfaction, dans le respect des règles constitutionnelles et éthiques. Cette relation induit qu’il soit également assez patriote et confiant en la République, pour faire preuve d’enthousiasme, dans l’acquittement de ce devoir civique.

Par ailleurs, en renforçant la capacité de l’État à pourvoir aux besoins des populations par ses propres ressources, le citoyen inscrit son pays dans la dynamique de l’indépendance réelle. Combien de fois, avons-nous entendu et lu, ces derniers jours, des interrogations sur la réalité de notre indépendance ? Mais combien de fois nous sommes-nous interrogés sur les ressorts de cette indépendance que nous voulons et sur le prix à payer, en tant que citoyens ? Est-ce que nous avons établi un juste rapport entre notre profond désir d’indépendance et d’autonomie financière et notre degré de civisme fiscal, en termes d’acquittement volontaire, de déclaration dans les délais, de dépôt des documents fiscaux authentiques ? Savons-nous qu’en contribuant à l’optimisation des ressources de l’État par cet acte citoyen nous réduisons l’endettement extérieur et confortons l’autonomie financière de notre pays ?

Rôle des pouvoirs publics et du leadership religieux

Ces questions ne trouveront réponse que dans la mesure où une alliance citoyenne est nouée entre les différents segments de la société pour une meilleure compréhension de l’esprit et de la finalité du contrat fiscal. A ce niveau, l’on peut attendre des pouvoirs publics et du leadership politique et religieux qu’ils assument leurs responsabilités et qu’ils déploient les efforts idoines pour renseigner, informer et former les citoyens sur l’importance de la question. Ainsi ils pourront contribuer à créer un état d’esprit favorable au civisme fiscal au sein de la communauté nationale. Ce qui serait un grand pas dans l’établissement d’un rapport de priorité à l’avantage de l’intérêt collectif aux dépens de l’intérêt personnel. La coopération sérieuse entre ces derniers, autorités politiques et religieuses, avec les autres acteurs, serait un signal fort dans le sens de la promotion de l’éducation aux droits humains, au civisme et à la citoyenneté active.
Sur un autre point, l’on peut se demander comment peut-on exiger de la République et procéder à l’évasion fiscale dans nos pays. Ici, se posent avec acuité les questions liées à la résolution de la complexe équation de l’accès à l’électricité et à l’eau potable, du développement du capital humain (clé de tout progrès économique et social) et des infrastructures (une priorité cruciale pour la circulation des personnes et des biens et aussi pour le désenclavement des régions périphériques).
Tous ces problèmes vitaux demandent la mobilisation de ressources importantes. Qui donc mieux que l’élite et les classes privilégiées qui ont bénéficié de la nation, sont à même d’apporter une pierre à l’édifice en faisant montre d’un peu moins d’égoïsme et de beaucoup plus de solidarité ? Il est en effet, peu compréhensible que des personnalités qui aspirent à être des gouvernants, qui le sont ou qui l’ont été, puissent tranquillement s’adonner à l’évasion fiscale et se mettre à critiquer les politiques publiques en se présentant comme les alternatives les plus crédibles. Il est tout aussi difficile de leur reconnaître une quelconque légitimité politique, eux qui empêchent délibérément les gouvernants qu’ils critiquent, d’optimiser les ressources des contribuables. C’est d’autant plus contestable que des procédés comme les sociétés offshore, les écrans de fumée, sont utilisés pour se soustraire à l’obligation de déclarer et de payer les impôts ou pour dissimuler des biens mal acquis. Cette attitude est une sérieuse entorse à l’éthique, au patriotisme et à la citoyenneté responsable, et elle ne correspond ni à l’esprit qui a présidé à l’instauration de l’impôt, ni au sacrifice que requiert l’état de nos sociétés. De même, cela trahit les enseignements de nos deux religions révélées, l’islam et le christianisme.
Ces deux religions qui mobilisent la foi de la majorité des Sénégalais invitent à s’acquitter de l’impôt, par devoir et par consentement à l’idée de Bien. Ce qui, au demeurant, n’est pas éloigné de ce que pensent certains intellectuels comme le Professeur Marc Leroy : « L’impôt-contribution » (ou « impôt-citoyen ») est à encourager car il représente la forme politique du consentement à l’impôt, pas seulement le respect de la soumission (compliance) à ses obligations mais aussi le civisme fiscal altruiste: le contribuable le juge légitime pour financer les politiques publiques, même si elles ne lui profitent pas personnellement. »

Ceci est assez proche, toutes proportions gardées, des enseignements du christianisme qui invite au respect de l’autorité, à l’acquittement de l’impôt, sous le seul déterminant de la conscience et non de la crainte.

« Il est donc nécessaire de vous soumettre à lui [gouvernement], non seulement par crainte de sa colère, mais encore par conscience. (C’est moi qui souligne)

C'est aussi pour cela que vous payez l’impôt; car les princes sont les ministres de Dieu, le servant en cela même.
Rendez donc à tous ce qui leur est dû : le tribut, à qui le tribut; l’impôt, à qui l’impôt; la crainte, à qui la crainte; l'honneur, à qui l'honneur. »

En ce qui concerne l’islam, il est de notoriété qu’il a institué la zakât, une obligation prélevée sur les biens du musulman, pour sa redistribution, dans la dynamique d’une régulation sociale gage de stabilité et de sécurité. Mieux, le Coran incite les musulmans à comprendre que les biens qui sont entre leurs mains ne leur appartiennent pas. Ils n’en sont que des usufruitiers et ils doivent alors respecter les règles du contrat qui les lie à Dieu, le véritable propriétaire. Il y a, dans ses versets, une sévère mise en garde à l’endroit de ceux qui thésaurisent or et argent et qui préfèrent leur sécurité personnelle, familiale et clanique (politique, confrérique ou autre) au respect des injonctions divines. Or, le respect de la loi (quand elle est juste) est une injonction divine, le respect du contrat social en est aussi ; et le contrat fiscal est un élément du contrat social. Ainsi, le croyant doit-il avoir à l’œil ceci :

« Dis : Si vos pères, vos enfants, vos épouses, vos clans, les biens que vous gagnez, le négoce dont vous craignez le déclin et les demeures qui vous sont agréables, vous sont plus chers qu’Allah, Son messager et la lutte dans le sentier d’Allah, alors attendez qu’Allah fasse venir Son ordre. Et Allah ne guide pas les gens pervers. »

En outre, l’évasion fiscale pourrait-être assimilée à une variante de la thésaurisation qui est ici visée :
« A ceux qui thésaurisent l’or et l’argent et ne les dépensent pas dans le sentier d’Allah, annonce un châtiment douloureux, le jour où (ces trésors) seront portés à l’incandescence dans le feu de l’Enfer et qu’ils en seront cautérisés, front, flancs et dos : voici ce que vous avez thésaurisé pour vous-mêmes. Goûtez de ce que vous thésaurisez. »

Ces passages reflètent les mêmes enseignements que ceux du christianisme par la bouche de l’apôtre Jacques :
« A vous maintenant, riches ! Pleurez et gémissez à cause des malheurs qui viendront sur vous ! Vos richesses sont pourries, et vos vêtements sont rongés par les teignes. Votre or et votre argent sont rouillés, et leur rouille s’élèvera en témoignage contre vous, et dévorera vos chairs comme un feu. Vous avez amassé des trésors dans les derniers jours ! Voici, le salaire des ouvriers qui ont moissonné vos champs, et dont vous les avez frustrés, crie, et les cris des moissonneurs sont parvenus jusqu’aux oreilles du seigneur des armées. »

Ces écritures des deux religions qui sont les plus partagées par le citoyen sénégalais nous montrent que de quelque côté que nous le prenions, du regard du citoyen ou de celui du croyant, (ce serait mieux si nous combinions les deux) le civisme fiscal gagnerait à être promu. Surtout dans nos nations, pour contribuer à réduire les inégalités à travers les politiques publiques, favoriser l’autonomie de nos États, consolider leur indépendance et les obliger à la culture de la transparence et de la reddition des comptes. Car, sans la transparence et la reddition des comptes, les gouvernants peuvent confondre entre l’Etat et la société destinataire des ressources, et utiliser celles-ci pour leur prestige personnel, au profit de leurs familles, clans et clients.

ABDOUL AZIZE KEBE
ENSEIGNANT CHERCHEUR
UCAD-DAKAR

Asfiyahi.Org
Vendredi 15 Avril 2016






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